Aux origines de l'Emmental Grand Cru
Histoire de la fabrication d'Emmental en France
L'origine
des fromages en forme de meules et de pâte pressée cuite (Gruyère, Comté, Abondance, Beaufort, Emmental) remonte à l'antiquité, le berceau
historique se situant vraisemblablement au cœur de la région montagneuse du
Sbrinz en Suisse. Cette technologie innovante s'est ensuite exportée vers le
nord de l'Italie (Parmesan), dans les Alpes, le Jura, puis dans le
massif vosgien.
Les
premières mentions écrites faisant allusion aux fromages alpestres ont été
répertoriées chez Pline. En France, il faut attendre le 12ème siècle, lorsqu'en 1185 l'abbé de Saint Oyan
(Jura) fait valoir une redevance en fromages à l'abbé de Grandvaux. Les textes
deviennent plus nombreux et plus détaillés à partir du 13ème siècle, avec
la compilation de documents reproduits dans le cartulaire d'Hugues 1er de
Chalon-Arlay (1317 et 1319). Ces textes font notamment apparaitre le terme de
"vachelin", qui désignait une grande meule de fromage, ainsi
que le mot "fructerie", que l'on retrouve aujourd'hui dans
la dénomination de fruitière, qui désigne un atelier de fabrication de
fromages appartenant à une association communautaire de producteurs de lait.
L'économie
de montagne au Moyen Age reposait alors sur un système autarcique, fondé
sur l'exploitation des ressources saisonnières. La production laitière
était abondante l'été, lorsque les bergers conduisaient leur troupeau de vaches
sur les hauts pâturages des montagnes. La technique de fabrication des grandes
meules de fromage apportait une solution pour la conservation de ce lait
pendant la période hivernale. L'expression de « fromages de garde »,
accordée encore de nos jours aux meules à pâte pressée cuite, se rapporte
à cette pratique. Après fabrication, les fromages étaient transportés jusque
dans la vallée pour l'hiver. Peu à peu, la fabrication de ces fromages
nécessitant des volumes de lait importants (jusqu'à 900 litres de lait pour
une meule d'emmental), les producteurs se sont organisés en fructeries où ils
mettaient en commun leur lait.
C'est à
partir du 16ème siècle que les fabrications de fromages qui, jusque-là,
servaient de ressource alimentaire l'hiver pour les producteurs, ont commencé à
être exportées en dehors de leur région d'origine vers les bassins de forte densité
de population. Parallèlement, les communications s'améliorant entre les
différentes régions productrices de fromages, les techniques de fabrication se
sont améliorées du fait des échanges entre fromagers. L'aire de production des
fromages s'est également élargie sous l'effet du développement démographique ou
des crises politiques. Ainsi, chassés de leur pays d'origine (région de Berne
en Suisse), les membres d'une secte religieuse, les anabaptistes, ont migré
dans le secteur de Montbéliard et contribué à l'expansion de la zone de
production vers les vallées de Haute Saône et les contreforts des Vosges.
De même, une
sélection des vaches laitières s'est opérée dans les massifs montagneux des
Vosges, du Jura et des Alpes du Nord, notamment au 19ème siècle avec la
création de la race montbéliarde dans le Jura, à laquelle les producteurs sont
depuis restés fidèles. Cette sélection a abouti à une meilleure qualité de lait
et une plus grande productivité des filières fromagères.
Parmi les
fromages de garde, l'emmental est sans conteste le plus grand en volume. Son nom fait référence à la vallée de l'Emme, en Suisse, d'où il est issu. Au dix-neuvième siècle et au début du vingtième siècle, sa fabrication s'est répandue dans l'est-central de la France, grâce aux progrès
des technologies employées en fromagerie et à l'arrivée de fromagers suisses, venus suppléer le manque de main d'oeuvre pendant et après guerre. Depuis, son succès auprès des
consommateurs a sans cesse été grandissant.
1976 - première affiche publicitaire |
Cette démarche a été entreprise dès 1976 par les fabricants de l'Est-Central de la France. La marque collective "Grand Cru" a été créée pour permettre l'identification d'un Emmental au lait cru de qualité supérieure, conforme à sa tradition. En 1979, le Label Rouge a été obtenu, les conditions de fabrication de l'Emmental Grand Cru étant désormais codifiées dans un référentiel technique homologué par le Ministère de l'Agriculture. Sa qualité supérieure est évaluée chaque année par des examens organoleptiques. Afin de protéger également l'aire géographique traditionnelle de fabrication de l'emmental en France, les opérateurs de la filière ont ensuite entrepris une démarche de protection de la dénomination "emmental français est-central" et obtenu en 1996 son enregistrement comme Indication Géographique Protégée (IGP) au niveau européen.
Spécificités des terroirs de l'Est Central de la France
Haut Doubs |
Des facteurs d'usage
Du fait de l’isolement des aires
de production et de la rudesse du climat l’hiver, les circuits de collecte
du lait sont courts, favorisant ainsi le maintien de multiples
fromageries dans tout le territoire de l’est-central. Les fromageries
fabricant de l’emmental français est-central fabriquent en moyenne 1000 à 1200
tonnes de fromages par an ; contre des volumes de production supérieurs à
50000 tonnes par an dans les fromageries de l’ouest de la France produisant de
l’emmental au lait pasteurisé. Les fromageries font entièrement partie du
patrimoine régional, du fait de leur lien étroit à leur terroir, et contribuent
au maintien d’une activité économique et sociale dans les communes rurales de
l’est-central de la France.
Des facteurs climatiques
Les
massifs montagneux de l’est-central se caractérisent par des hivers longs et
rigoureux, des étés chauds et relativement secs, ainsi que par une pluviométrie
abondante avec un nombre important de jours de précipitations. Une variabilité
importante en cours de saison ou d’une année à l’autre est également observée.
Ce climat est particulièrement favorable à la production d’herbe et de foin de
grande qualité (richesse en protéines ; profil en acides gras). Les
caractéristiques des laits provenant des zones herbagères de l’est-central se
distinguent par un taux de matière protéique plus élevé que dans l’ensemble du
territoire français. Il s’agit d’une caractéristique essentielle pour
l’aptitude des laits à la transformation fromagère.
Des facteurs botaniques et agronomiques
Les prairies de l’est-central de la France se caractérisent par une grande diversité
botanique et microbienne. Cette diversité est préservée par les pratiques
agronomiques des exploitants agricoles impliqués dans des filières de
production de fromages au lait cru : AOC Comté, Beaufort, Abondance,
Reblochon, Morbier, etc ... - IGP emmental français est-central et IGP Emmental de
Savoie. Le maintien des cycles traditionnels de pâturage et de fenaison
contribue au maintien de la biodiversité des prairies de l’est-central.
Inversement, la pratique de l’enrubannage des meules de foin, interdite par le
cahier des charges de l’emmental français est-central, est un facteur
d’appauvrissement de la biodiversité, le fanage des prairies étant alors plus
précoce (d’un mois en moyenne, avant montée en graine d’une grande partie des
espèces présentes) qu’en production traditionnelle de foin. Les prairies de
l’est-central sont fréquemment bordées de haies, ce qui, outre le maintien
d’une plus grande diversité de faune et de flore sur le territoire, constitue
un facteur de biodiversité microbienne pour le lait. Haies et prairies de
l’est-central contribuent aussi à la qualité des paysages de la région et à son
attrait touristique.
Des facteurs humains
Le grand
nombre de fromageries présentes dans la région « Est-Central »
favorise une richesse des échanges techniques entre fromagers au sein des
syndicats de produits régionaux (AOC ; IGP ; Label Rouge), le
maintien de nombreuses structures d’enseignement technique (production de lait
avec les LEGTA, les Maisons Familiales et Rurales et autres structures d’enseignement
privé ; fabrications fromagères : Ecoles Nationales de l’Industrie
Laitière), la présence de plusieurs réseaux de recherche laitière (UMT de
Poligny ; GIS Alpes du Nord), centres techniques (Actalia ; CentreTechnique des Fromages Comtois) et l’activité de plusieurs laboratoires
d’analyse spécialisés. Cette densité d’échange et de conseil technique favorise
la connaissance par le personnel des fromageries des techniques de fabrication
traditionnelle et l’adaptation à la diversité des laits travaillés.
Conséquences pour les caractéristiques de l'Emmental Grand Cru
L’obligation
de pâturage (5 mois minimum) confère à l’emmental français est-central un lien
étroit avec les différents terroirs constitutifs de la région Est-Central. L’essentiel
de l’alimentation
de base des vaches laitières et taries provient de la région de
production : herbe pendant la période estivale, foin séché et récolté
selon la tradition, provenant de l’exploitation durant l’hiver. La
flore des prairies, et surtout la microflore du lait, influencent les
caractéristiques organoleptiques de l’emmental français est-central,
celui-ci étant par ailleurs obligatoirement fabriqué au lait cru.
L’emmental français est-central se distingue ainsi des autres emmentals
fabriqués en France par une texture de pâte plus souple et fondante en bouche,
ainsi que par des arômes plus fruités. D’une fromagerie à l’autre, et d’une
saison à l’autre, des nuances apparaissent toutefois dans les caractéristiques
sensorielles des fromages, mettant ainsi en exergue la grande biodiversité des
prairies de l’est-central.
Ce
lien au terroir est renforcé par l’interdiction d’utilisation d’aliments
fermentés (ensilage ; balles rondes de foin enrubannées) et d’aliments
complémentaires à base de plantes odorantes (crucifères ; …) qui
peuvent pour les uns générer des fermentations butyriques et de
l’acidité dans les laits, puis dans les fromages ; et pour les autres
des arômes et odeurs désagréables pour le consommateur. Ces précautions sont
essentielles pour permettre un affinage en caves de longue durée (12 semaines
minimum contre 7 semaines pour un emmental français standard), selon la
tradition.
Bien que le cahier des
charges de l’emmental français est-central n’impose pas de races bovines en
particulier, du fait de l’étendue de sa région de production, il convient de
noter qu’une très grande majorité des troupeaux est composée de vaches
laitières de races locales (Montbéliardes 85% du total ;
Vosgiennes ; Simmental ; …), adaptées aux conditions
climatiques de l’est central et sélectionnées pour la qualité fromagère de leur
lait. Avec l’alimentation des vaches laitières, le facteur race est celui qui
influence le plus les caractéristiques physico-chimiques du lait mis en œuvre dans
la fabrication de fromages (rapport taux protéique/taux de matière grasse –
microbiologie du lait).
L'affinage long de 12 semaines minimum constitue
avec les caractéristiques intrinsèques des laits mis en œuvre, le principal
facteur influençant le profil descriptif de l’emmental français
est-central : présentation de la meule, avec une croûte propre, naturelle,
solide, lisse, sèche, sans tare ni tache, ni piquée, de couleur jaune clair,
une forme plus ou moins bombée selon la destination commerciale du produit, une
pâte de couleur homogène, fine et souple ainsi qu’un goût franc et fruité
caractéristique.
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